Lycée D'estournelles De Constant

Lycée Polyvalent – La Fleche

Pays de la Loire
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François Cervantes : les masques et la plume Avec deux créations et un festival spécial à la Criée, François Cervantes est l’un des dramaturges mis à l’honneur par MP2013… Avec ses clowns bizarres. Photo : © DR Souvent, dans le théâtre de François Cervantes, tout commence par une séance de maquillage. Pour Carnages, la dernière création de l’auteur et metteur en scène de 52 ans, la métamorphose a lieu, ce jour-là, dans les loges de la Cartonnerie à la Friche la Belle de Mai. Sept acteurs — trois femmes, quatre hommes — se transforment lentement, à leur rythme, devenant, grâce à leur grimage méticuleux, sept personnages. Des clowns, bien sûr, matière que Cervantes et la compagnie L’Entreprise, sa famille artistique, manipulent depuis près de vingt ans. L’attirail est classique. Nez rouges, perruques, chapeaux étranges, fringues informes couleurs pétard. Et du fard — blanc, noir ou vermillon — qui dessine des visages et des sentiments. « Nous choisissons tous nos accessoires, notre maquillage personnel… » Installée face à un miroir, la comédienne Anne Gaillard, nouvelle venue dans la troupe, semble s’interroger sur sa propre image : « Peut-être cherchons-nous à faire ressortir ce qu’il y a à l’intérieur… Ou pas. » Sur scène, même s’ils se coursent, s’ils chutent et se tabassent parfois, les clowns de Cervantes font rarement rire. Ils bâtissent des univers instables, perturbés et perturbants. Des mondes ultra sensibles, douloureux presque, que l’on quitte comme on sort d’une bulle, étourdis, quand le spectacle s’arrête. « Devenir un clown, c’est devenir poème », aime à dire l’auteur, quand on le questionne sur sa fascination pour un genre qu’il a aidé à déringardiser. Stylo au bout des lèvres, cheveux grisonnants en bataille, il définit simplement cette partie de sa quête d’homme de théâtre : « Explorer les rapports entre les anciennes techniques du jeu d’acteur, comme le clown et le masque, et la création contemporaine. » Photo : Le Voyage de Pénazar, d’après la légende du fidèle serviteur du prince Gegel Les douze spectacles du répertoire de L’Entreprise — tous, ou presque, régulièrement joués — sont autant d’expressions de cette poésie que Cervantes et sa compagnie défendent. Du Voyage de Penazar, saga aventureuse et bavarde, créée en solo et derrière un masque par la comédienne Catherine Germain en 2000, à ce Carnages nouveau et beaucoup moins disert. Une pièce au climat étrange, qui raconte l’arrivée de sept clowns dans un théâtre abandonné, allégorie d’une société et d’un art qui se réinventent sous nos yeux. « Je n’adhère pas à cette idée qui place les origines du théâtre aux temps de la civilisation grecque et de l’invention de la démocratie, note Cervantes, regard limpide et voix posée. Pour moi, l’histoire est beaucoup plus profonde, plus ancienne : le théâtre est une affaire de corps et de rituels qui permettent de faire émerger une autre intelligence… » Un sentiment né, peut-être, dans ces années 1970, où le jeune François assistait aux processions de la semaine sainte dans l’Espagne de ses ancêtres… Fasciné. Installé depuis neuf ans à Marseille, celui qui se dit sans regret « de moins en moins auteur, mais de plus en plus artisan de l’écriture », est persuadé que l’énergie de la ville a sauvé sa petite entreprise. « En 2004, après vingt ans d’itinérance, nous sentions que la compagnie se dévitalisait, se rappelle-t-il. Pour survivre, il nous fallait planter une racine quelque part. Philippe Foulquié, patron de la Friche à l’époque, nous a convaincus de tenter le pari de la permanence ici. Marseille nous apporte beaucoup de force, et curieusement, depuis, nous tournons encore plus qu’avant. » L’installation a également permis de concrétiser d’autres envies. Comme celle de séjours au long cours sur une même scène « pour voir le bouche-à-oreille faire son effet et remplir une salle ». « Qu’un spectateur conquis passe le message à son ostéopathe ou à son épicier et les incite à venir au théâtre, c’est magique, savoure François Cervantes. Parfois, on aimerait jouer une ou deux semaines de plus, juste pour voir jusqu’où le public suivrait. » Si Marseille lui rappelle aussi l’ambiance de ses premières années passées au Maroc (soleil, métissage et un « art de vivre assez exceptionnel, malgré la pauvreté et la densité de population ), il a surtout pu y consolider son idée de troupe. Et pousser encore plus avant ses expériences d’écriture en commun. « Je crois à l’intelligence collective, note-t-il. Je suis persuadé que certaines choses se passent non dans nos têtes, mais dans cette zone que définissent les personnes entre elles. » Photo : Les clowns de la Compagnie L’Entreprise. Crédit : Olivier Metzger pour Télérama A le regarder travailler avec Catherine Germain, pilier de la compagnie et créatrice du clown Arletti, ou Dominique Chevallier, colosse fatigué qui porte la veste élimée et le discours désabusé du clown Zig, on perçoit presque cet espace invisible où le collectif produit sa propre étincelle. « Je suis comme un scribe qui doit sentir la dramaturgie souterraine des choses, poursuit François Cervantes. J’écoute ce que me disent les autres. C’est le corps qui détient le texte et je fais partie de ces accompagnateurs qui vont le révéler. » Capable d’aller s’installer plusieurs mois dans une classe de 4e pour écrire La Table du fond, vision particulière du rapport à l’école, ou de commencer une correspondance avec des détenus de la maison d’arrêt du Pontet pour un prochain projet, l’homme s’est aussi mis à l’écoute cette année d’une autre réalité. Il a élaboré sa seconde création 2013, Le Prince séquestré, au Caire et à Marseille, avec Hassan el-Geretli, un des acteurs égyptiens les plus populaires : « Notre travail a traversé toute la révolution. A travers Hassan, que je connais depuis longtemps, j’ai vécu l’espoir du mouvement de la place Tahrir, la montée de l’islamisme et, aujourd’hui, cette tristesse, cette perspective sans beaucoup de lumière. » En convoquant la figure du clown, inconnu dans la culture égyptienne, François Cervantes a construit un récit qui dit la difficulté de l’artiste à trouver sa place dans le fracas de l’Histoire. Un texte qui sera joué en français et en arabe… Mais, avant tout, avec le corps. mp2013.fr Gilles Rof | Mis à jour le 4 février 2013 Cr